La rediffusion par la chaîne privée tchèque Prima d'un feuilleton télévisé des années 70, porté aux nues par l'ancien régime communiste, provoque une vive polémique entre nostalgiques d'une époque révolue et intellectuels indignés de revoir ce produit de la dictature. Baptisé La femme derrière le comptoir, le feuilleton raconte en douze épisodes la vie d'une simple vendeuse dans un supermarché sans histoires. La première partie a été diffusée jeudi soir. C'est une oeuvre typique de la "normalisation" des années 1970 et 1980, lorsque les Tchèques, sans illusions après l'écrasement par les chars soviétiques des réformes du Printemps de Prague en 1968, rentraient dans la coquille de leur vie privée. "Le feuilleton est du genre de ceux qui imposent une idéologie de manière discrète, plutôt subliminale", souligne Pavel Taussig, expert en histoire du cinéma. "L'héroïne de La femme derrière le comptoir n'est pas une fonctionnaire. Elle est confrontée aux problèmes du quotidien, son mari la trahit...", rappelle-t-il. Les autorités n'ont cependant pas résisté à la tentation d'enjoliver le quotidien. On voit dans le feuilleton des étals débordant de fruits exotiques et d'autres produits de choix, alors qu'à l'époque les Tchèques faisaient quotidiennement des heures de queue dans des magasins à l'approvisionnement spartiate. L'actrice, qui incarne le rôle principal, n'a pour sa part jamais fait dans la discrétion. Agée aujourd'hui de 76 ans, Jirina Svorcova, sacrée "artiste nationale" sous l'ancien régime, a été pendant de longues années membre du comité central du parti communiste. Toujours fidèle à ses engagements, elle continue, treize ans après la chute du communisme, de fréquenter les réunions du parti pour y déclamer des poèmes révolutionnaires. "Je vais regarder un épisode, histoire de me rappeler l'époque dans laquelle nous avons vécu", avoue le directeur de la télévision publique Ceska Televize (CT), Jiri Balvin. Mais, Ivan Trojan, acteur très en vogue ces dernières années, se montre beaucoup plus sévère envers "La Femme derrière le comptoir". "C'est une bêtise et je n'ai aucune envie de le voir. Mais il est vrai que les quelque 18% de communistes du pays doivent être très contents", dit-il. Le réalisateur Otakar Vavra va encore plus loin et qualifie les histoires de la petite vendeuse de "publicité pour la dictature, dépourvue de toute valeur artistique". Cette rediffusion n'est cependant pas une première. En 1999, la chaîne publique CT a ramené sur les petits écrans une autre oeuvre fétiche de l'ex-régime totalitaire, chantant les louanges de la police communiste. La rediffusion des "Trente cas du commandant Zeman" -- feuilleton en trente épisodes tourné au milieu des 1970 sur une commande directe de la police secrète StB -- a provoqué de vigoureuses protestations, notamment de la part des anciens prisonniers politiques. La chaîne privée Prima n'a pas d'états d'âmes. "Nous allons au devant des souhaits des téléspectateurs qui aiment les feuilletons tchèques avec les acteurs populaires", affirme sa porte-parole, Jana Malikova. "Il y a sûrement ceux qui protestent, mais ils ont la liberté d'éteindre leur téléviseur", dit-elle. Avec une audience moyenne de 20% de la population, Prima est nettement moins regardée que l'autre chaîne privée Nova (environ 45% d'audience) mais elle rivalise pour la deuxième place avec CT 1, la première chaîne publique.
Rédaction
6 octobre 2002
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