C'est un voyage cru sur les bords du lac Victoria, en Tanzanie, auquel convie le film "Le Cauchemar de Darwin" de l'Autrichien Hubert Sauper, où l'extrême misère côtoie les usines prospères qui alimentent en filets de perche du Nil nos tables européennes. La chaîne culturelle Arte programme ce film ce soir à 20h40, en pleine polémique déclenchée, un an après la sortie du film, par un historien français qui accuse le film d'être un "mensonge" et une "supercherie". "Le cauchemar de Darwin" sera suivi à 22h30 d'un débat sur le néo-colonialisme en Afrique et les effets dévastateurs de la mondialisation, avec le réalisateur et Elikia M'Bokolo, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), spécialiste en histoire et civilisations de l'Afrique. "Le cauchemar de Darwin" retrace l'histoire de l'introduction dans le plus grand lac tropical du monde de la perche du Nil dans les années 60, qui a proliféré, entraînant la disparition de dizaines d'espèces autochtones et l'asphyxie des milieux naturels. Mais le désastre environnemental n'est pas le sujet du film. C'est un autre désastre, humain, qu'il dénonce: "le pillage de l'Afrique, l'aide humanitaire de l'Union européenne qui se transforme en outil néocolonial". Non seulement la pêche ne sort pas les malheureux travailleurs des usines à poisson de leur misère mais elle les précipite dans une spirale infernale: alcool, prostitution, sida. La réalité frise souvent l'insupportable: des femmes faméliques traitent les carcasses de poissons recouvertes de vermine qui semblent être destinées à la population locale tandis que les filets de perche partent vers l'Europe. Le cinéaste suggère fortement que dans les énormes Iliouchine affrétés pour le transport du poisson, des armes transitent à l'aller par la Tanzanie, vers l'Angola, le Congo. Après une carrière remarquable --le film a été vu par plus d'un million de personnes dans le monde, a reçu de nombreux prix dont le César du meilleur premier film en février dernier-- la polémique a éclaté. L'historien François Garçon publie dans la revue des Temps Modernes (déc-janv 2006) un article au vitriol dans lequel il reproche au cinéaste de n'avoir pas démontré le trafic d'armes qu'il dénonce, d'avoir fait croire que les horribles restes de poisson pourrissant étaient destinés aux hommes alors qu'ils sont pour les animaux. En bref, il l'accuse de s'être livré "à une imposture intellectuelle" pour "satisfaire les bobos et les altermondialistes". "Le cauchemar de Darwin est une comédie musicale par rapport à la réalité vraie de la région des Grands Lacs où règnent famine et désespoir. On laisse mourir tout un continent et par rapport à ça il n'y a pas d'exagération", a répliqué Hubert Sauper. Il revendique en outre le droit de porter "son regard" sur la région des Grands Lacs, où il a beaucoup vécu pendant dix ans, et insiste sur le fait que son film n'est pas un reportage de journaliste mais "un documentaire avec le langage du cinéma qui peut avoir un effet très fort sur une audience".
Rédaction
24 avril 2006
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